Du territoire aux agriculteurs : le maintien des prairies dans un contexte d’élevage périurbain de plaine
Approche technique et sociologique
Enquête auprès d’éleveurs de la partie nord de l’agglomération de Rennes
L’utilisation des prairies est aujourd’hui dans une situation paradoxale. Remplacées par le maïs fourrager ou par des céréales, les surfaces prairiales diminuent en France depuis la révolution agricole des années 1950, principalement dans les zones d’élevage de plaine. Les atouts des prairies sont pourtant soulignés pour les exploitations agricoles comme les territoires, par les travaux de recherche menés depuis 30 ans. De plus des mesures de soutien public existent aux niveaux européen, national et même local. Malgré cette baisse générale, les prairies se sont maintenues dans des zones d’élevage de plaine entre 2000 et 2010.C’est le cas de trois cantons périurbains de Rennes.
Cette thèse recherche les raisons de ce maintien sur le temps long à une échelle locale en l’interrogeant à partir de deux disciplines : la zootechnie et la sociologie ; et en questionnant le rôle du contexte périurbain. Par là même, cette recherche contribue à une approche interdisciplinaire originale associant sciences techniques et sociales dans l’étude d’un objet agricole sur le temps long.
Le travail de thèse s’organise en trois parties, mobilisant des cadres conceptuels et des méthodologies menées séparément puis discutées transversalement. La première partie analyse l’évolution agricole du territoire depuis les années 1950 à partir d’observations et d’enquêtes de terrain auprès d’agriculteurs et d’experts. Cette partie pointe une spécialisation laitière du territoire dès les années 1960, à partir du développement d’une industrie laitière à proximité de Rennes. À partir des années 1990, le mode de production laitière s’est diversifié en réponse à l’évolution des attentes sociétales et du développement de filières alternatives. Aujourd’hui, une diversité importante de systèmes fourragers laisse une place variée aux prairies, laissant supposer que le maintien résulte de cette diversité. La deuxième partie modélise, sur le temps long et selon une approche processuelle, les trajectoires de 15 exploitations laitières représentatives du territoire. Elles sont caractérisées selon leur dimension productive et les pratiques prairiales identifiées au long de la carrière du chef d’exploitation. Ce travail montre que la diversité des systèmes fourragers observée résulte de plusieurs types de trajectoires selon un niveau d’intégration plus ou moins forte des prairies :
- (i) des exploitations ont reconçu leur système fourrager vers l’herbe en lien avec une spécialisation laitière et en rupture au modèle traditionnel breton;
- (ii) d’autres ont mobilisé les prairies par des processus plus progressifs de substitution et spécifiquement pour leurs fonctions zootechniques en lien avec des trajectoires productives variées;
- (iii) d’autres enfin, aux trajectoires stables, intègrent peu de prairies dans le système fourrager. La troisième partie analyse, d’un point de vue sociologique, les systèmes de pensée relatifs aux prairies des 15 mêmes éleveurs. Elle montre que les prairies tendent à reconstituer un fond commun entre éleveurs, dans lequel elles sont considérées comme une ressource fourragère pertinente en élevage laitier. Ceci remet en question la dichotomie traditionnelle existant entre maïs et prairies depuis la modernisation agricole des années 1950-80. Elle montre aussi que les réseaux professionnels et les trajectoires personnelles des agriculteurs constituent des déterminants forts des pratiques prairiales. Enfin, la proximité urbaine, par les interactions entretenues dans des réseaux non professionnels, conforte ou interroge les agriculteurs sur leurs pratiques prairiales.
La discussion des résultats met en évidence des types, des usages et des logiques d’agriculteurs favorables aux prairies et d’autres plus réfractaires, ouvrant des perspectives pour des actions de développement territorial des prairies selon des modalités différenciées. Elles supposent une coordination des acteurs des territoires (agricoles, agro-alimentaires, de l’aménagement territorial) pour replacer les prairies au centre de la transition agro-écologique.
Timothée PETIT
Mots clefs
PRAIRIES, TRAJECTOIRES, SYSTÈMES DE PRODUCTION, SYSTÈMES DE PENSÉE, INTERDISCIPLINARITÉ