Avenir de l’élevage, cinq scénarios contrastés

Rédigé par ESA
Ecole - 14 avril 2020

En décembre dernier, un public d’étudiants et de professionnels s’est réuni pour une conférence interactive sur le thème des controverses autour de l’élevage en France. Invité à participer activement à la conférence, le public a découvert les cinq scénarios contrastés de l’avenir de l’élevage que les sociologues du projet ACCEPT sur l’acceptabilité de l’élevage (Rennes 2) ont mis à jour après leur enquête.

Dans cette conférence d’un genre original, chacun a son mot à dire… Grâce à son Smartphone et à un vote via un site dédié, le public a pu exprimer son avis et faire partie des statistiques discutées au cours de la soirée. En direct dans la salle de conférence, s’élèvent les débats qui agitent le grand public lorsque l’on aborde cette question controversée. En jetant ce pavé dans la mare, Elsa Delanoue, sociologue à l’Institut de l’élevage (Idele) notamment, a pour objectif de dépasser avec les étudiants la posture défensive pour aller vers une analyse plus scientifique sur le sujet. Elle a participé à la réalisation de l’enquête sur le rapport des Français à l’élevage menée dans le cadre du projet ACCEPT (pour acceptation sociale) par les instituts techniques de l’élevage (porcs et ruminants) et des sociologues de l’université Rennes 2 entre 2014 et 2018. « De cette enquête, à la fois quantitative et qualitative, ont émergé différents profils de Français dans leur rapport à l’élevage, explique-t-elle à l’assemblée. Ces différents profils nous ont permis de dégager plusieurs scénarios sur l’avenir de l’élevage, plus ou moins réalistes. »

Différents profils de Français

  • Les alternatifs : ils soutiennent fortement le bio et les circuits courts. Ils souhaitent la fin du système intensif et le développement des élevages alternatifs. Ils sont convaincus que l’élevage alternatif est bon pour la société et la planète et que le bio est l’avenir de l’élevage. Ce groupe compte 60 % de femmes.
  • Les sans-avis : ils ne connaissent pas le secteur et ne s’y intéressent pas. Pour eux, l’alimentation n’est pas un sujet de préoccupation et ils n’ont pas de vision pour l’élevage de demain.
  • Les abolitionnistes : ils sont moralement choqués par le principe de l’élevage (élever et mettre à mort des animaux pour les consommer). Ils souhaitent l’arrêt de l’élevage et de la consommation de viande. Ils sont souvent antispécistes et contestent une hiérarchie dans le vivant en fonction des espèces. Ce groupe compte 80 % de femmes, souvent jeunes.
  • Les progressistes : ils soutiennent la diversité des systèmes. Ils s’expriment en faveur de l’optimisation de la production standard et d’un gain en qualité. Ce sont des mangeurs stables de produits animaux, mais ils méconnaissent les pratiques d’élevage.
  • Les compétiteurs : ils sont satisfaits de l’élevage actuel et souhaitent un gain de compétitivité de l’élevage français. Ils disent bien connaître l’élevage et sont favorables au système intensif.

Des produits variés pour des consommateurs divers

Après la présentation de ces différents profils, les présents dans la salle ont pu voter pour le profil dans lequel ils se reconnaissent le plus. Résultat : les progressistes sont en tête, les alternatifs et les sans-avis suivent, tandis que quelques compétiteurs et un abolitionniste émergent à peine de la mêlée. « Ces résultats reflètent ceux de notre enquête, puisque les progressistes représentent 51 % de notre échantillon, souligne la sociologue. Ils avouent mal connaitre le sujet et sont en recherche de réassurance pour continuer à manger des animaux. » Les abolitionnistes, quant à eux, représentent 2 % de l’échantillon. « Leurs arguments sont très présents dans les médias, mais en réalité peu de Français sont choqués moralement par l’élevage et par le fait de consommer de la viande. » Dans la salle, les questions et les réactions fusent. On évoque ainsi le fait que ces profils sont des profils d’opinion et non de consommation : il y a un décalage entre les 24 % d’alternatifs qui sont pour le bio, mais qui ne consomment pas pour autant 100 % de produits bio. Elsa Delanoue le souligne : « Il y a souvent une dissonance entre ce que l’on pense et ce que l’on fait : nous ne sommes pas toujours cohérents ! Mais, si le prix reste pour le moment le critère d’achat principal, la dissonance se réduit et les gens tendent de plus en plus à faire coïncider leurs achats avec leurs convictions. » En fait, le mode de consommation qui se développe le plus est le flexitarisme, c’est-à-dire que les Français mangent moins souvent de viande, mais achètent des produits de meilleure qualité. Moralité : « Il faut pouvoir proposer des produits diversifiés pour des profils variés de consommateurs ! »


Cinq scénarios pour l’avenir de l’élevage

Cette enquête a aussi permis à l’équipe de sociologues de faire émerger différents scénarios pour l’avenir de l’élevage, avec des probabilités de réalisation différentes. Les voici :

  • Les filières co-construisent des démarches de progrès avec la société

Dans ce scénario, il y aurait une multiplication de démarches qualités (ONG et filières) et donc une grande diversité de systèmes d’élevages, avec un standard européen un peu plus élevé qu’aujourd’hui. Mais il y aurait alors un risque de complexification de l’offre pour les consommateurs avec, par exemple, des jambons sans antibiotiques, mais aux OGM…

  • La junk food se généralise

Dans un monde où les gens se fichent un peu de ce qu’ils mangent, avec une transformation des habitudes alimentaires (repas pris à l’extérieur ou à emporter…), les éleveurs devraient se spécialiser selon les avantages des territoires et privilégier de grandes exploitations.

  • Une agriculture européenne productive face aux dérèglements planétaires

En cas de crise climatique, alimentaire, économique et migratoire, la population souhaiterait que l’élevage produise plus. En Europe, où l’on pourrait s’en sortir moins mal que dans d’autres parties du monde, il faudrait intensifier la production, avec une priorité à la production de céréales.

  • L’élevage produit moins mais mieux avec de fortes valeurs ajoutées

La baisse de la consommation de viande associée à une réglementation contraignante dans la PAC engendrerait une croissance du bio et de la qualité. En conséquence l’élevage serait moins productif, mais les consommateurs seraient d’accord pour payer plus.

  • Véganisme et marginalisation des consommateurs de viande

Avec ce scénario, la réglementations très contraignante, sur l’abattage notamment, ainsi que le développement d’alternatives à la viande, diminuerait drastiquement l’élevage, qui se réduirait à quelques fermes bios ou alternatives.

Des scénarios pour réfléchir au futur modèle

De l’aveu de la sociologue, les scénarios proposés sont bien sûr caricaturaux : « Ils sont conçus pour faire réfléchir aux futurs modèles économiques, afin de se poser des questions et d’identifier ce dont on ne veut vraiment pas. » Dans la salle, les votes vont vers le « moins mais mieux », ainsi que pour les « démarches collectives ». Les scénarios les plus craints, sont ceux du « véganisme » juste devant la « crise climatique »… Dans la réalité, la sociologue évoque la grande probabilité d’une combinaison de plusieurs facteurs et de plusieurs scénarios. « Il y a des chances pour que notre avenir soit assez dichotomique entre le scénario du « moins mais mieux » et celui de la « junk food », conclut-elle. Mais, une autre tendance va affecter l’élevage et doit être prise au sérieux, c’est bien sûr le changement climatique. » Affaire à suivre donc !

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